Entretien avec Masanobu Fukuoka, précurseur de la Permaculture
Reverdir les déserts : des techniques agricoles naturelles pour l’Afrique
Plutôt qu’un pionnier de la permaculture, Masanobu Fukuoka en est un prédécesseur, car il fut concepteur de l’agriculture naturelle et il fit la jonction avec la permaculture. Il participa notamment à la deuxième conférence internationale de PermaCulture, à Breitenbush Hot Springs & Olympia, au nord ouest des États Unis... C’était en 1986.
Voici un entretien avec Masanobu Fukuoka qui fut réalisé à cette occasion, quelques jours avant la présentation de sa conférence, alors qu’il visitait la "Abundant Life Seed Foundation" de Port Townsend à Washington.
Masanobu Fukuoka aime dire de lui qu’il n’a aucune connaissances hormis celles contenues dans ses livres, dont La Révolution d’un Seul Brin de Paille. Pour la présenter en quelques mots, on peut dire qu’il promeut une méthode d’agriculture qui ne nécessite ni labour, ni fertilisants, ni pesticides, ni désherbage ni élagage... et qui au final ne demande que très peu de travail ! Il obtient cependant des rendements élevés en étant très attentif pour le choix du moment des semis et des associations de plantes cultivées. C’est ainsi qu’il a grandement perfectionné l’art du travail en accord avec la nature.
Il décrit comment on peut appliquer ses méthodes d’agriculture naturelle aux zones désertiques de la planète, et ceci sur la base de son expérience en Afrique en 1985.
Robert : Qu’avez-vous appris durant ces 50 ans de travail sur l’agriculture ?
Masanobu Fukuoka : Je suis un petit homme, comme vous pouvez le voir, mais je suis venu aux États-Unis avec un grand but. Ce petit homme devient de plus en plus petit, et il ne va pas durer très longtemps, alors je voudrais partager les idées qui m’animent depuis 50 ans. Mon rêve est comme un ballon. Il peut devenir de plus en plus petit, ou il peut devenir de plus en plus gros. Pour faire très bref, on pourrait le décrire comme "néant". Pour en parler plus longuement, cela pourrait couvrir la terre entière.
L’agriculture du non agir
Je vis sur une petite montagne, où je m’occupe de ma ferme. Je n’ai aucune connaissance. Je ne fais rien. Ma façon de faire de l’agriculture est de ne pas cultiver, de ne pas fertiliser, et de pas utiliser de produits chimiques. Il y a dix ans, mon livre One Straw Revolution (La révolution d’un seul brin de paille), a été publié aux USA par Rodale Press. Depuis ce moment je n’arrive plus à simplement dormir dans mes montagnes. Il y a 7 ans, j’ai pris l’avion, pour la première fois dans ma vie, et je suis venu à Boston, en Californie, à New York. J’ai été surpris parce que je pensais que les États-Unis étaient très vert, mais en fait, c’est une terre morte que j’ai vu.
J’ai alors parlé de mon agriculture naturelle au responsable du département des désert des Nations Unies. Il m’a demandé si cette agriculture naturelle pouvait transformer le désert d’Irak. Il m’a demandé de développer un moyen pour faire reverdir le désert. Je me suis dit à ce moment que je n’étais qu’un pauvre petit fermier sans pouvoir ni connaissances, et je lui ai dit que cela m’était impossible. Mais à partir de ce moment toutefois, j’ai commencé à penser que ma tâche était de travailler sur le désert.
J’ai voyagé à travers l’Europe il y a quelques années. Il m’a semblé que l’Europe était très belle, et qu’on y trouvait encore beaucoup de zones naturelles préservées. Mais à cinquante centimètres sous la surface, j’ai senti l’arrivée du désert. Je me suis demandé pourquoi, et j’ai compris que c’était à cause des erreurs de l’agriculture. Les origines de cette erreur sont à trouver dans l’élevage pour la viande des rois, et dans la culture des vignes pour le vin de l’église. Tout alentour, ce ne sont que troupeaux, troupeaux, troupeaux, et vignes, vignes, vignes. L’agriculture européenne et américaine ont commencé avec des troupeaux qui pâturent et des vignes qui poussent pour les rois et l’église. Ils ont transformé la nature en faisant cela, tout particulièrement sur les flancs des collines. Immanquablement, cela y provoque l’érosion des sols. Seuls les 20% du sol des vallées sont restés sains, et 80% des terres sont épuisées. Puisque la terre est épuisée, les paysans ont besoin de fertilisants et de pesticides chimiques. L’agriculture des États-Unis, de l’Europe, et même du Japon, ont toutes commencé avec le labour. Cultiver est aussi lié à la civilisation, et c’est là que commence l’erreur.
Dans une vraie agriculture naturelle, on ne cultive pas, on ne laboure pas. L’utilisation de tracteurs et d’outils détruit la vraie nature. Les plus grands ennemis des arbres, ce sont la scie et la hache. Les plus grands ennemis du sol, ce sont la culture et le labour. Si les gens n’avaient pas ces outils, ce serait mieux pour tout le monde.
Ma ferme n’est pas cultivée, et je n’y utilise ni fertilisants, ni produits chimiques. De ce fait, on y trouve plein d’animaux et d’insectes. Les paysans qui utilisent des pesticides pour tuer un certain type de nuisibles détruisent tout l’équilibre de la nature. Si nous laissons la nature faire, elle retrouvera son équilibre.
Reverdir les déserts
Robert : Comment avez-vous appliqué votre méthode aux déserts ?
Masanobu Fukuoka : L’agriculture chimique ne peut changer le désert. Même avec un gros tracteur et un gros système d’irrigation ne peuvent le faire. Il n’y a qu’avec une agriculture naturelle que le désert peut retourner à la verdure.
La méthode est très simple : tout ce qu’il faut, c’est semer des graines dans le désert. Voici la photo d’une expérience en Éthiopie. Cette zone était très belle il y a 90 ans, mais maintenant elle ressemble plutôt au désert du Colorado. J’ai donné des semences pour 100 variétés de plantes aux gens en Éthiopie et en Somalie. Les enfants ont planté les graines et les ont arrosées pendant trois jours. Du fait de la température élevée et de l’absence d’eau, les racines se sont enfoncées profondément dans le sol. Des radis Daikon poussent maintenant à cet endroit. Les gens pensent qu’il n’y a pas d’eau dans le désert, mais même en Somalie et en Éthiopie, il y a une grande rivière. Ce n’est pas qu’il n’y a pas d’eau, c’est que cette eau se trouve juste sous la terre, entre 2 et 4 mètres de profondeur.
Diane : Vous utilisez l’eau juste pour la germination, puis vous laissez les plantes se débrouiller ?
Masanobu Fukuoka : Dix jours ou un mois après, elles ont encore besoin d’eau, mais il ne faut pas trop les arroser, car il faut que les racines descendent en profondeyr. Il y a des gens en Somalie qui ont maintenant un jardin personnel. Le projet a démarré avec l’aide de l’UNESCO et de beaucoup d’argent, mais il n’y a aujourd’hui (en 1986) qu’un couple de personnes qui s’occupe de tout cela. Ces jeunes gens de Tokyo ne connaissent pas grand chose à l’agriculture.
Il vaudrait bien mieux envoyer des graines aux gens de Somalie et d’Éthiopie, plutôt que du lait et de la farine. Les gens de Somalie et d’Éthiopie peuvent très bien semer des graines, même des enfants en sont capables.
La permaculture s’appliquera t elle un jour au niveau international ?
Il est bien dommage que les gouvernements Africains, les États-Unis, l’Italie ou la France n’envoient pas de graines, mais de la nourriture et des vêtements. Les gouvernements Africains découragent les jardins personnels et la petite agriculture. En 100 ans, les graines pour le jardin sont devenues rares.
Diane : Pourquoi ces gouvernements font-ils ainsi ?
Masanobu Fukuoka : Les gouvernements Africains et le gouvernement des États-Unis veulent que les gens ne fassent la culture que de cinq ou six variétés de café, de thé, de coton, pour l’exportation et pour faire de l’argent. Les légumes ne sont que de la nourriture et ne rapportent pas d’argent. Alors ils disent qu’ils vont fournir le maïs et le blé pour que les gens n’aient pas besoin de faire pousser leurs propres légumes.
Robert : Avons-nous aux États-Unis le type de graines qui pourrait correctement s’acclimater à ces régions d’Afrique ?
Masanobu Fukuoka : J’ai vu ce matin dans cette ville (Port Townsend) plusieurs plantes qui pousseraient dans le désert : des légumes, des plantes ornementales et des céréales aussi. J’ai même vu des plantes comme les radis Daikon, des amarantes ou des plantes grasses, qui poussaient même mieux ici que dans mes propres champs.
Robert : Donc si les gens aux États-Unis, au Japon et en Europe veulent aider les gens en Afrique, et réduire le désert, suggéreriez-vous qu’ils y envoient des graines ?
Masanobu Fukuoka : Quand j’étais en Somalie, j’ai pensé qu’avec 10 fermiers, un camion et des semences, il serait alors très facile d’aider les gens du coin. Il n’ont pas d’herbe pendant la moitié de l’année, ils n’ont pas de vitamines, et tombent évidemment malades. Ils en ont même oublié comment manger les légumes. Ils mangent juste les feuilles mais pas la partie comestible des racines.
La planète est un écosystème global
Hier, je me suis rendu à l’Olympic National Park. J’ai été très surpris et j’en ai presque pleuré car là, le sol était vivant ! La montagne était comme le lit d’un Dieu. La forêt semblait vivante, plus vivante que toutes les forêts qu’on trouve en Europe. Les arbres de Californie et les prairies françaises sont superbes mais, là, c’était bien le plus beau encore ! Comme au Jardin d’Éden, les gens d’ici ont de l’eau, du bois de chauffage et des arbres. Si les gens y sont heureux, cet endroit est une vraie Utopie.
Dans les déserts, par contre, les gens qui vivent n’ont souvent qu’une tasse, un couteau et une marmite pour vivre. Certaines familles n’ont même pas de couteau, et doivent couper leur bois à coups de rochers et le transporter sur des kilomètres. Donc j’étais très impressionné par cette belle région, mais en même temps j’avais mal au cœur en pensant aux gens du désert. Entre les 2 c’est un peu comme le paradis et l’enfer.
Je crois que le monde en arrive à un point très dangereux. Les États-Unis ont le pouvoir de détruire le monde, mais aussi d’aider le monde. Je me demande si les gens de ce pays se rendent compte que les États-Unis aident les gens en Somalie mais sont aussi en train de les tuer. Ils leurs font cultiver du café, du sucre et leur donnent de la nourriture. Le gouvernent Japonais fait la même chose. Il donne des vêtements et le gouvernement Italien donne des macaroni. Les États-Unis veulent en faire des mangeurs de pain alors que les gens en Éthiopie cuisinent le riz, l’orge et les légumes. Alors qu’ils sont heureux en tant que petits agriculteurs, le gouvernement des États-Unis leur dit de travailler, travailler comme des esclaves dans une grande ferme, pour cultiver du café. Les États-Unis leur disent qu’ils peuvent faire de l’argent et devenir heureux ainsi.
Un professeur japonais, un collègue, disait après avoir visité la Somalie et l’Éthiopie que c’était l’enfer sur terre. Je lui ai dit "Non, c’est l’entrée du paradis". Car ces gens n’ont pas d’argent, pas de nourriture, mais ils sont très heureux. Ils sont heureux parce qu’ils n’ont pas d’écoles ni de maîtres. Ils sont heureux lorsqu’ils transportent de l’eau, lorsqu’ils coupent du bois. Ce n’est pas une chose difficile pour eux, ils aiment le faire. Il fait très chaud entre midi et trois heures, mais sinon il y a suffisamment de vent, et il n’y a pas de mouches ou de moustiques.
Les gens aux États-Unis, plutôt que d’aller dans l’espace, pourraient peut être ensemencer les déserts depuis leur navette spatiale ou depuis des avions. Il y a beaucoup de compagnies de semences affiliées à des entreprises multinationales.
Diane : Si l’on jetait les graines ainsi, les pluies seraient-elles suffisantes pour les faire germer ?
Masanobu Fukuoka : Non, ce n’est pas assez, donc je sèmerai des graines enrobées pour éviter qu’elles se dessèchent ou qu’elles soient mangées par les animaux. Il y a probablement différentes manières d’enrober les graines. Vous pouvez utiliser de la terre, mais il faut que cela colle, ou utiliser du calcium.
Il y a de tout dans ma ferme : des arbres fruitiers, des légumes, des acacia. Comme dans mes champs, il faut tout mélanger et semer au même moment. J’ai pris dans les 100 variétés d’arbres greffés là, deux de chaque, et la plupart, dans les 80%, y poussent maintenant. La raison pour laquelle je dis d’utiliser un avion, c’est que pour tester, il faut juste utiliser une petite zone, mais pour reverdir une grande zone, il faut tout faire en une seule fois ! Et il faut mélanger les arbres et les légumes ; c’est le meilleur moyen de réussir.
Et il faut faire vite, car si les zones fertiles de la planète diminuent encore, c’est toute la terre va mourir. Nous souffrirons de manque d’oxygène. Au printemps, c’est l’oxygène des plantes qui nous rend heureux. Nous inspirons de l’oxygène et expirons du gaz carbonique, et les plantes font l’inverse. Les êtres humains et les plantes n’ont donc pas seulement des relation de nourriture, mais ils partagent aussi l’air. Ainsi le manque d’oxygène en Somalie n’est pas seulement un problème à cet endroit, c’est un problème partout, et le monde entier va ressentir l’épuisement rapide des sols dans ces régions d’Afrique. Cela arrive très vite ; il n’y a a pas de temps à perdre ; nous devons agir maintenant !
Depuis le 7ème jour, Dieu pratique le non-agir
Il suffit de vent et de lumière, de feu et d’eau pour rendre heureux les gens en Éthiopie. Pourquoi aurions-nous besoin de plus ? Notre devoir est de pratiquer l’agriculture à la manière de Dieu. Peut être ainsi pourrons-nous sauver ce monde.
Cet entretien avec Masanobu Fukuoka a été mené par Robert et Diane Gilman. Katsuyuki Shibata et Hizuru Aoyama sont à l’origine de la traduction de cet entretien en anglais, dont la publication originale a eu lieu dans In Context #14, à l’automne 1986 - Copyright (c)1986, 1997 by Context Institute. Une traduction française a été initiée par Michel Dussandier en 1997, puis corrigée et réécrite pour www.passerelleco.infopar Jean Luc Girard en 2014. Les intertitres ont été ajoutés lors de cette finalisation.
Un bel article, très intéressant !... Merci et belle semaine, cher âmi du Tao
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