Chapitre 10 : Le Lâcher-Prise
Le Non Désir nous conduit à prendre la vie comme elle vient sans aucune attente, et sans jamais regretter qu'elle ne soit autre. Nous acceptons la vie telle qu'elle se présente, et ce, même si elle va à l'encontre non pas de nos projets - nous n'en avons plus - , mais tout simplement de ce que nous sommes en train de faire. La meilleure attitude consiste à lâcher prise, à cesser de se battre pour nos projets ou notre action. Le lâcher-prise permet d'être pleinement conscient de ce qui se passe dans l'instant où nous agissons. Si nous essuyons une contrariété, celle-ci ne dure qu'une seconde, le temps pour nous d'accepter la situation nouvelle, et de l'accueillir dans un lâcher-prise bienveillant.
Nous sommes bienveillants à l'égard de l'instant présent, car nous savons que le cosmos - du microcosme au macrocosme - qui nous environne ne peut être que dans un état et un seul. Le lâcher-prise nous permet de vivre pleinement l'ici et maintenant et ainsi de capitaliser chaque instant de notre vie. Par exemple, lorsque Chouang Tseu se trouve endeuillé par la mort de sa femme, il observe un instant de recueillement, puis très vite se remet à ses occupations, jouant joyeusement avec ses écuelles. Interrogé par ses disciples, il explique qu'avant la naissance, son épouse n'existait pas et qu'il ne pouvait y avoir du ressentiment pour elle, et qu'il en était sans doute de même maintenant qu'elle était morte. Tchouang Tseu accepte aussitôt la situation qu'est la mort de sa femme, lâche-prise et vaque aussitôt à ses occupations. Celles-ci sont joyeuses car vécues en osmose avec l'instant présent.
Ainsi, le lâcher-prise est un très bon remède contre la morosité. Ne plus avoir d'impératif nous désinvestit du sérieux de l'ego. En effet, le mental, et à travers lui l'ego se jugent généralement investis d'une mission. Celle-ci est autoproclamée, mais est prise très au sérieux par ce que nous prenons pour être nous-même. Lâcher prise de toutes nos missions est la clef contre le sérieux de l'ego. Libéré du despotisme de notre mental, nous pouvons profiter de la joie du moment présent.
Mais le lâcher prise n'est pas seulement la clef pour la bonne humeur. Il est aussi la clef contre la souffrance, et plus généralement pour rester en bonne santé. En effet lâcher-prise de ses désirs, c'est donner beaucoup moins d'importance au mental, et vivre dans une certaine vacuité de la pensée. Ceci permet un calme, une sérénité propice au bon fonctionnement du cerveau reptilien. Ce dernier peut alors réguler efficacement les flux qui parcourent notre corps. Ainsi, le rythme cardiaque, le flux respiratoire, la température du corps et toutes les régulations nécessaires à notre santé sont mise en oeuvre dans le calme. Si au contraire, nous stressons sans lâcher-prise du mental, le cerveau reptilien est perturbé, et n'assure plus ses fonctions régulatrices, avec pour conséquences de nombreuses maladies.
Ainsi, lâcher-prise de sa propre volonté est une hygiène de vie, c'est le comportement du Sage. Si nous adoptons cette attitude, nous vivons en harmonie avec le cosmos, en harmonie avec l'instant. Nous vivons pleinement l'ici et maintenant, ce qui fait que chaque moment est capitalisé par notre cerveau, par notre être. Fini, les pertes de consciences dues à notre mental focalisé soit sur le passé soit vers le futur. Toute notre conscience est désormais focalisée sur l'instant présent et engrange cette expérience sans se focaliser dessus pour mieux vivre la suivante dans un continuel lâcher-prise.
Le lâcher-prise est une attitude, non pas de rejet, mais au contraire d'ouverture. Il s'agit de ne pas s'attacher à ce que l'on a ou ce que l'on est, mais d'accueillir ce qui arrive avec une ouverture candide, toujours prête à l'émerveillement. De la sorte, ce qui nous arrive est toujours nouveau et coloré, bien différent de la grisaille de l'ego et de son mental envahissant.
Accueillir l'instant présent dans un continuel lâcher-prise de notre volonté permet de suivre le flux de l'instant présent. En aucune occasion nous ne nous opposons à lui. Ceci ne veut pas dire que nous perdons notre personnalité. Par exemple, pendant la seconde guerre mondiale, la question de cacher des Juifs s'est posée à un certain nombre d'entre-nous. Le lâcher-prise aurait-il conduit à les dénoncer pour qu'ils finissent dans des camps d'extermination ? Aurions nous pu vivre avec ce poids sur la conscience ? Non à l'évidence, le lâcher-prise, en accord avec nous-même et la situation, nous incitait à les cacher. En effet, l'instant présent réside dans la situation, mais aussi dans la perception que l'on en a.
Ainsi, nous allons d'instant en instant, cultivant l'harmonie du tout et de notre personne, l'harmonie du Monde, et l'harmonie entre nous et le Monde. Pour y parvenir, il existe une méthode indiquée par Lao Tseu, le Non -Agir. Ce Non-Agir ne va ni à l'encontre du Monde, dont on épouse les mouvements, ni à l'encontre de notre personne qui ainsi s'harmonise avec le Monde. Aussi, le lâcher-prise du Non-Agir nous apporte la paix, la sérénité, la joie.
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