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samedi 19 mars 2016

La mort


Lorsque Tchouang-tseu se rendait au pays de Tch'ou, il vit un crâne décharné mais intact. Il le frappa du bout de sa cravache et l'interrogea ainsi : "Est-ce parce que tu as trop aimé la vie et négligé ainsi la loi de la nature que tu es parvenu à cet état ? Est-ce parce qu'on a ruiné ton pays et qu'on t'a retranché par la hache ? Est-ce parce que tu as commis des actes infâmes et que tu es mort de honte, de peur de laisser une mauvaise réputation à ton frère, à ta mère, à ta femme et à tes enfants ? Est-ce parce que tu as subi la misère du froid et de la faim, ou encore parce que tu avais atteint l'âge où l'on meurt naturellement ?"
Après avoir terminé son interrogatoire, Tchouand-tseu tira le crâne près de lui, s'en fit un oreiller et s'endormit. A minuit, le crâne lui apparut en songe et lui dit : "Vous m'avez parlé comme un sophiste, vos paroles ne concernent que les peines de l'homme vivant; ces peines n'existent plus pour l'homme mort. Voulez-vous que je vous dise les plaisirs de la mort ?
- Volontiers, dit Tchouang-tseu.
- Après la mort, dit le crâne, on n'a plus de prince au dessus de soi, ni de subordonnés au dessous; on n'a plus les travaux des quatre saisons; tout à son aise, on a le même âge que le ciel et la terre; la joie même d'un roi ne saurait surpasser celle de la mort."
Tchouang-tseu ne voulant pas le croire, lui dit : "Si j'obtenais du gouverneur du Destin que ton corps avec ses os, ses tendons, sa chair, sa peau, te soit rendu et que tu puisses retrouver ton père, ta mère, ta femme, tes enfants, ton village et tes connaissances, le désirerais-tu ?"
Fronçant les sourcils et retroussant le nez, le crâne répliqua : "Comment pourrais-je renoncer à ma joie royale pour rentrer dans les misères humaines ?"


Tchouang-tseu

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